Frais d'analyses et d'examens médicaux dans un autre Etat membre: la pratique luxembourgeoise est contraire au droit européen

11/11/2012 15:35

L'article 24 du Code de la sécurité sociale luxembourgeois exclut le remboursement des frais des analyses de biologie médicale effectuées dans un autre État membre et ne prévoit la prise en charge de ces analyses que par la voie du tiers payant, dans les termes suivants: «Les prestations de soins de santé sont accordées, soit sous forme de remboursement par la Caisse nationale de santé [, ancienne Union des caisses de maladie,] et les caisses de maladie aux personnes protégées qui ont fait l’avance des frais, soit sous forme de prise en charge directe par la Caisse nationale de santé, le prestataire de soins n’ayant dans ce dernier cas d’action contre la personne protégée que pour la participation statutaire éventuelle de celle-ci. À défaut de disposition conventionnelle contraire, le mode de la prise en charge directe ne s’applique qu’aux actes, services et fournitures ci-après: – les analyses et examens de laboratoire; [...]»

La réglementation luxembourgeoise ne prévoit donc pas la possibilité de prise en charge des analyses et des examens de laboratoire, au sens de l’article 24 du code de la sécurité sociale, sous la forme d’un remboursement des frais avancés pour ces analyses et examens par les assurés sociaux.

La Commission européenne a été saisie de deux plaintes relatives à des cas de refus de remboursement à des patients affiliés à la sécurité sociale luxembourgeoise des frais d’analyses de biologie médicale réalisées dans des États membres autres que le Grand-Duché de Luxembourg. Dans l’un de ces cas, le remboursement des frais a été refusé au motif que, la législation nationale prévoyant la prise en charge des frais afférents à ces analyses directement par les caisses de maladie, la caisse de maladie concernée n’était pas habilitée à procéder au remboursement en l’absence de tarification de la prestation. Dans l’autre cas, le remboursement d’analyses sanguines et par ultrasons effectuées en Allemagne a été refusé au motif que seules les prestations prévues dans les statuts peuvent être remboursées et que les prestations doivent être effectuées conformément aux dispositions des différents accords nationaux applicables. Dans ce cas, les conditions prévues pour le remboursement de ces analyses n’auraient pas pu être remplies par l’auteur de la plainte en raison des différences entre les systèmes de santé luxembourgeois et allemand. La Commission indique, à titre d’exemple, que les prélèvements ont été directement effectués par le médecin, alors que la législation luxembourgeoise exige qu’ils soient réalisés dans un «laboratoire séparé». Or, il ne serait pas possible de satisfaire à cette exigence en Allemagne.

À la suite d'une mise en demeure lui adressée par la Commission, le Gouvernement luxembourgeois a répondu qu’il était conscient de ses obligations qui découlent du droit de l’Union et qu’il entendait, d’une part, apporter une solution à caractère général au problème soulevé par la Commission et, d’autre part, traiter «d’une façon pragmatique» les «cas isolés» qui se présenteraient entre-temps. Il est néanmoins fait état de plusieurs difficultés techniques pour se conformer auxdites obligations, notamment, l’impossibilité pour la CNS d’appliquer une tarification par analogie pour les remboursements de frais exposés à l’étranger, des conditions nationales spécifiques de remboursement des frais des analyses de biologie médicale.

Devant la Cour de justice de l'Union européenne, qu'elle a saisi d'un recours en manquement d'Etat contre le Luxembourg, la Commission a plaidé que la réglementation luxembourgeoise aboutit à une restriction injustifiée à la libre prestation des services au sens de l’article 49 CE. Les conditions de prise en charge prévues par la législation luxembourgeoise introduiraient donc une différenciation selon la manière dont les soins de santé sont prodigués dans les États membres. Ainsi, un affilié à la sécurité sociale luxembourgeoise pourrait être remboursé ou ne pas l’être selon l’État membre dans lequel il a bénéficié de soins de santé. À titre d’exemple, la Commission fait valoir que, si un affilié à la sécurité sociale luxembourgeoise se rend en France ou en Belgique, où le plus fréquemment les analyses sont réalisées dans des «laboratoires séparés», le remboursement sera octroyé à cet affilié. La Commission soutient que, en revanche, si ce dernier se rend en Allemagne, comme cela était le cas dans l’une des plaintes dont elle a été saisie, il ne sera pas remboursé. Les affiliés luxembourgeoois seraient ainsi découragés de s’adresser à des prestataires de services médicaux établis dans des États membres autres que le Grand-Duché de Luxembourg.

Le Luxembourg, en tant que défense aux reproches lui adressés, estime que les États membres restent exclusivement compétents en ce qui concerne l’organisation, le financement et la prestation des services de santé et se demande si l’obligation qui leur est imposée de rembourser les frais de ces services sans qu’ils disposent d’un droit de regard préalable ne viole pas le principe de proportionnalité inscrit à l’article 5, troisième alinéa, CE. Cette obligation porterait atteinte aux prérogatives souveraines des États membres dans le domaine en cause et imposerait au Grand-Duché de Luxembourg un changement radical de l’organisation de son système de santé. Son système de santé reposerait sur les principes du conventionnement obligatoire des prestataires et de la budgétisation des établissements hospitaliers. Ce système prendrait en compte des considérations de politique sociale en proposant des avantages identiques tant aux citoyens de condition modeste qu’à ceux qui disposent de revenus élevés. Il ne pourrait être maintenu que si un grand nombre d’assurés sociaux y ont effectivement recours, le mécanisme de la prise en charge directe par les caisses de maladie étant un moyen pour parvenir à ce résultat. Le Grand-Duché de Luxembourg expose toutefois qu’il n’entend pas s’opposer à ce que les dispositions mises en cause par le recours de la Commission soient modifiées. De telles modifications seraient effectuées dans le cadre d’une réforme globale du domaine concerné, dans l’attente de laquelle l’Inspection générale de la sécurité sociale aurait donné des instructions claires, précises et contraignantes, obligeant les caisses de maladie à procéder au remboursement des analyses de laboratoire effectuées dans d’autres États membres et dont le non-respect entraînerait la suspension, voire l’annulation, de la décision contraire. Le respect de l’article 49 CE serait ainsi assuré.

La Cour, dans son arrêt, constate que la réglementation luxembourgeoise n'est pas conforme au droit européen.

Si la réglementation nationale relative à la sécurité sociale ne prive pas les assurés sociaux de la possibilité d’avoir recours à un prestataire de services médicaux établi dans un État membre autre que le Grand-Duché de Luxembourg, il n’en demeurerait pas moins qu’elle ne permet pas le remboursement des frais des soins fournis par un prestataire non conventionné, alors que ce remboursement constitue le seul moyen de prendre en charge de tels soins. Or, dans la mesure où il est constant que le régime luxembourgeois de sécurité sociale repose sur un système de conventionnement obligatoire des prestataires, les prestataires ayant conclu une convention avec les caisses de maladie luxembourgeoises sont principalement ceux établis dans cet État membre. En effet, il serait certes loisible aux caisses de maladie d’un État membre de conclure des conventions avec des prestataires situés en dehors du territoire national. Toutefois, il apparaît, en principe, illusoire d’imaginer qu’un nombre important de prestataires situés dans les autres États membres soient amenés à conclure des conventions avec lesdites caisses de maladie, dès lors que leurs perspectives d’accueillir des patients affiliés à ces caisses demeurent aléatoires et restreintes. Par conséquent, dans la mesure où l’application de la réglementation luxembourgeoise en cause revient à exclure, de fait, la possibilité de prise en charge des analyses et des examens de laboratoire, au sens de l’article 24 du code de la sécurité sociale, effectués par la quasi-totalité, voire la totalité, des prestataires de services médicaux établis dans des États membres autres que le Grand-Duché de Luxembourg, elle décourage, ou même empêche, les personnes affiliées à la sécurité sociale luxembourgeoise de s’adresser à de tels prestataires et constitue, tant pour celles-ci que pour les prestataires, un obstacle à la libre prestation des services.

Le Grand-Duché de Luxembourg n’aurait pas démontré l’existence d’un risque ni expliqué la raison pour laquelle le non-remboursement des frais afférents aux analyses et aux examens de laboratoire effectués par des prestataires de services médicaux établis dans d’autres États membres serait propre à garantir la réalisation de l’objectif de protection de la santé publique et n’excéderait pas ce qui est objectivement nécessaire à cette fin. La réalisation des libertés fondamentales garanties par le traité CE oblige, selon la Cour, inévitablement les États membres à apporter des adaptations à leur système de sécurité sociale, sans pour autant que l’on puisse considérer qu’il y aurait de ce fait une atteinte à leur compétence souveraine en la matière. Les États membres ayant institué un régime de prestations en nature, voire un service national de santé, devraient prévoir des mécanismes de remboursement a posteriori de soins dispensés dans un État membre autre que celui compétent. Enfin, quant aux instructions émises par l’Inspection générale de la sécurité sociale auxquelles le Grand-Duché de Luxembourg se réfère afin de démontrer l’inexistence du manquement allégué, la Cour rappelle que de simples pratiques administratives résultant de l’application de telles instructions, par nature modifiables au gré de l’administration et dépourvues d’une publicité adéquate, ne sauraient être considérées comme constituant une exécution valable des obligations découlant du traité.

Source: CJUE, arrêt du 27.01.2011, C‑490/09, Commission européenne c/ Grand-Duché de Luxembourg